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| Poésie | |
| | Auteur | Message |
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Kela Chef de l'Archebulle
Nombre de messages : 279 Age : 32 Age (dans le RP) : 22 ans Groupe : Novi Electi (enfin on se le demande parfois ^^) Date d'inscription : 17/08/2006
| Sujet: Poésie Ven 26 Juin - 19:25 | |
| La vie et le monde s'acharnent à nous rogner les ailes, mais c'est notre devoir absolu de nous efforcer en retour de les étendre, le plus large possible. Je dis non, je refuse, j'accuse, je mets en doute.. je me révolte donc je suis
TOUT SEMBLE SI...
Tout semble si apaisé dans ma ville Si je suis fou, que cache cet asile ? Ces Africaines aux cheveux lisses Qui malgré tout l'avaient faite métisse Tous ces sourires qui coulent à flot
Et tant de bourses à boire des chocolats chauds Tous ces enfants à qui il ne manque rien Et les terrasses qui ont fait le plein Je suis fracas quand la foule est tranquille Et toi tu sembles si apaisée ma ville
Tout semble si apaisé dans ma ville Mais j'y crois pas, tout ça c'est trop facile Toutes les villes se prennent avec des mots Y'a toujours une moitié pour dire : Bravo ! C'est pas la guerre, c'est dépassé
On me dit: "C'est qu'un mauvais moment à passer"
AILE BRISE
Bref éclair dans la nuit, Chant levé aux étoiles, vol inouï. Longue vibration, âmes qui se lèvent, Egarement dans le sommeil, chute dans le rêve. Poignard enfoncé au coeur des ténèbres, Pleurs hilaires sur des cordes funèbres. Larme glacée de l’Etoile polaire, Etrange rayon d’un coucher solitaire. Coeurs affamés, illusions mensongères, Anges bercés sur des ailes de lumière. Rotation d’astres, musique des sphères, Volupté, larmes, caresses, prières. Pâle lune attristée, solitaire, Par le voile des nuages endeuillée, Aile brisée, pleurant sur des fleurs fanées. | |
| | | Kela Chef de l'Archebulle
Nombre de messages : 279 Age : 32 Age (dans le RP) : 22 ans Groupe : Novi Electi (enfin on se le demande parfois ^^) Date d'inscription : 17/08/2006
| Sujet: Re: Poésie Ven 5 Nov - 9:48 | |
| La guerre
A la mémoire de son neveu, le Lieutenant Victor Fabrègue, tué à Gravelotte
I Du fer, du feu, du sang ! C’est Elle ! C’est la Guerre ! Debout, le bras levé, superbe en sa colère, Animant le combat d’un geste souverain. Aux éclats de sa voix s’ébranlent les armées; Autour d’elle traçant des lignes enflammées, Les canons ont ouvert leurs entrailles d’airain Partout chars, cavaliers, chevaux, masse mouvante ! En ce flux et reflux, sur cette mer vivante, À son appel ardent l’Épouvante s’abat. Sous sa main qui frémit, en ses desseins féroces, Pour aider et fournir aux massacres atroces Toute matière est arme, et tout homme soldat.
Puis, quand elle a repu ses yeux et ses oreilles De spectacles navrants, de rumeurs sans pareilles, Quand un peuple agonise en son tombeau couché, Pâle sous ses lauriers, l’âme d’orgueil remplie, Devant l’œuvre achevée et la tache accomplie Triomphante elle crie à la Mort: bien fauché !
Oui, bien fauché ! vraiment la récolte est superbe; Pas un sillon qui n’ait des cadavres pour gerbe. Les plus beaux, les plus forts sont les premiers frappés. Sur son sein dévasté qui saigne et qui frissonne L’Humanité, semblable au champ que l’on moissonne, Contemple avec douleur tous ces épis coupés.
Hélas ! au gré du vent et sous sa douce haleine Ils ondulaient au loin, des coteaux à la plaine, Sur la tige encor verte attendant leur saison. Le soleil leur versait ses rayons magnifiques; Riches de leur trésor, sous les cieux pacifiques, Ils auraient pu mûrir pour une autre moisson.
II
Si vivre c’est lutter, à l’humaine énergie Pourquoi n’ouvrir jamais qu’une arène rougie ? Pour un prix moins sanglant que les morts que voilà L’homme ne pourrait-il concourir et combattre ? Manque-t-il d’ennemis qu’il serait beau d’abattre ? Le malheureux ! il cherche, et la Misère est là ! Qu’il lui crie: À nous deux ! et que sa main virile S’acharne sans merci contre ce flanc stérile Qu’il s’agit avant tout d’atteindre et de percer. À leur tour, le front haut, l’lgnorance et le Vice, L’un sur l’autre appuyé, l’attendent dans la lice; Qu’il y descende donc, et pour les terrasser.
À la lutte entraînez les nations entières. Délivrance partout ! effaçant les frontières, Unissez vos élans et tendez-vous la main. Dans les rangs ennemis et vers un but unique, Pour faire avec succès sa trouée héroïque, Certes, ce n’est pas trop de tout l’effort humain.
L’heure semblait propice, et le penseur candide Croyait, dans le lointain d’une aurore splendide, Voir de la Paix déjà poindre le front tremblant. On respirait. Soudain, la trompette à la bouche, Guerre, tu reparais, plus âpre, plus farouche, Écrasant le Progrès sous ton talon sanglant.
C’est à qui le premier, aveuglé de furie, Se précipitera vers l’immense tuerie. À mort ! point de quartier ! l’emporter ou périr ! Cet inconnu qui vient des champs ou de la forge Est un frère; il fallait l’embrasser on l’égorge. Quoi ! lever pour frapper des bras faits pour s’ouvrir !
Les hameaux, les cités s’écroulent dans les flammes. Les pierres ont souffert, mais que dire des âmes ? Près des pères les fils gisent inanimés. Le Deuil sombre est assis devant les foyers vides, Car ces monceaux de morts inertes et livides Essaient des cœurs aimants et des êtres aimés.
Affaiblis et ployant sous la tâche infinie Recommence, Travail ! rallume-toi, Génie ! Le fruit de vos labeurs est broyé, dispersé. Mais quoi ! tous ces trésors ne formaient qu’un domaine: C’était le bien commun de la famille humaine. Se ruiner soi-même, ah ! c’est être insensé !
Guerre, au seul souvenir des maux que tu déchaînes, Fermente au fond des cœurs le vieux levain des haines; Dans le limon laissé par tes flots ravageurs Des germes sont semés de rancune et de rage, Et le vaincu n’a plus, dévorant son outrage, Qu’un désir, qu’un espoir: enfanter des vengeurs.
Ainsi le genre humain, à force de revanches, Arbre découronné, verra mourir ses branches. Adieu, printemps futurs ! adieu, soleils nouveaux ! En ce tronc mutilé la sève est impossible. Plus d’ombre, plus de fleurs, et ta hache inflexible, Pour mieux frapper les fruits, a tranché les rameaux.
III
Non, ce n’est point à nous, penseur et chantre austère, De nier les grandeurs de la mort volontaire. D’un élan généreux il est beau d’y courir. Philosophes, savants, explorateurs, apôtres, Soldats de l’Idéal, ces héros sont les nôtres; Guerre, ils sauront sans toi trouver pour qui mourir. Mais à ce fer brutal qui frappe et qui mutile, Aux exploits destructeurs, au trépas inutile, Ferme dans mon horreur, toujours je dirai: Non ! O vous que l’Art enivre ou quelque noble envie, Qui, débordant d’amour, fleurissez pour la vie, On ose vous jeter en pâture au canon !
Liberté, Droit, Justice, affaire de mitraille ! Pour un lambeau d’État, pour un pan de muraille, Sans pitié, sans remords, un peuple est massacré. Mais il est innocent !- Qu’importe? On l’extermine. Pourtant la vie humaine est de source divine; n’y touchez pas; arrière ! un homme, c’est sacré !
Sous des vapeurs de poudre et de sang quand les astres Palissent indignés, parmi tant de désastres, Moi-même à la fureur me laissant emporter, Je ne distingue plus les bourreaux des victimes; Mon âme se soulève, et devant de tels crimes Je voudrais être foudre et pouvoir éclater.
Du moins, te poursuivant jusqu’en pleine victoire, À travers tes lauriers, dans les bras de l’Histoire Qui, séduite, pourrait t’absoudre et te sacrer, O Guerre, Guerre impie, assassin qu’on encense, Je resterai, navrée et dans mon impuissance, Bouche pour te maudire et cœur pour t’exécrer.
Paris, 8 février 1871
Louise Ackermann, Poésies Philosophiques
Le Cauchemar
Vers le vide il se précipite, cet homme dans les rues de cette ville sans nom
Sous un ciel rouge de flammes, de bruits il ne s’arrête pas pour regarder autour de lui il n’a pas le temps
Un cri, «tourne vite non, pas par-là vite! rejoins les autres, quels autres?»
Tête basse, il suit les lignes il suit son ombre ne voyant même pas les bâtiments sur le coté
Il n’entend que cette voix qui lui dit «cours, vas-y, plus vite»
Le son d’acier qui frappe les murs frappe encore dans sa tête Est-ce qu’ils sont là? il ne le sait pas
Il continue comme une bête c’est le renard coincé par des chiens qui veulent le déchiqueter Il a peur
Il entre vite dans le jardin les arbres le soulagent ils filtrent la lumière éclatante, éblouissante L’herbe mouillée lui fait penser à des jours plus tranquilles
Il ferme les yeux, tout se calme mais ces couleurs, ces bruits, pèsent sur lui Il entend toujours cette voix qui lui dit «vas-y plus vite, cours, cours, cours»
Puis il la sent dans toute sa richesse doucement lui percer la peau, la chair, le cœur Petit à petit le film se ralentit devant ses yeux et il se réjouit
Tout s’engourdit en lui tout devient plus beau
Jules Delavigne, 1991
Exécution
La balle laboura son âme Son regard transperçant ses bourreaux Une rivière de sang abreuvant ses paroles réveillées par la surprise soudaine révélation médiocrité humaine. C’était au mois de mai, un jour de printemps Un oiseau se baigna dans la mare érubescente l’œil mouillé, il regarda les hommes ivres La beauté les avait quittés Ils n’étaient que des marionnettes de guerre
Sybille Rembard, 2010 | |
| | | Kela Chef de l'Archebulle
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| Sujet: Re: Poésie Ven 5 Nov - 10:08 | |
| Article de Jean Paul Mari
FRANCE 21 décembre 2006
« J’ai vu la mort, je me suis vu mort, je suis mort » Soldats Français : Traumatismes psychiques de la guerre
Des milliers de soldats français souffrent de névroses de guerre
Liban, Tchad, Bosnie, Rwanda, Afghanistan, Irak, Côte d’Ivoire... En un quart de siècle, plus de 200 000 soldats français ont été envoyés sur tous les fronts. Beaucoup en sont revenus traumatisés à jamais. Une blessure, une « névrose traumatique de guerre » qui peut déboucher sur la dépression, la violence, le suicide. Jean-Paul Mari, qui a côtoyé ces hommes dans tous ces conflits, ouvre un dossier jusque-là tabou
Le cauchemar a une odeur. Et le caporal-chef Philippe Guillaumot la connaît. Une odeur collante, lourde et âpre, mélange écœurant de maladie, de mort et de feu de bois humide. Pour s’en débarrasser, Philippe a tout essayé. Il a pris des milliers de douches, s’est savonné, frotté, raclé, rincé à l’eau de Javel, en vain. Il a mis le feu à ses tenues militaires et à son linge de corps, rien n’y a fait. « J’aurais aimé me brûler moi-même... » Douze ans après sa mission à la frontière du Rwanda, il lui suffit de fermer les yeux pour la respirer, collée à sa peau, sa gorge, son cerveau. Bien ancrée à l’intérieur de lui, indélébile. Pendant des années, dès qu’il s’endormait, son gosse unique serré dans ses bras, il se retrouvait aussitôt au volant d’un engin militaire de chantier, dans cette bananeraie de Goma, le corps ballotté au rythme des coups de pelle de son tracto-chargeur, à pousser des montagnes de cadavres boursouflés vers la fosse commune. Dans ces moments-là, tout lui revient, la chaleur humide de l’Afrique, l’odeur infecte et la nausée qui le submerge. Alors, il se réveille en sueur avec la sensation d’être sale, affreusement sale, jusqu’au plus profond de son être. Et il vomit. Le 15 août 1994, de retour chez lui, à Sausset-les-Pins, des feux d’artifice éclatent dans le ciel de Provence. Quand son épouse entre dans la chambre, elle trouve Philippe, colosse de 97 kilos, aplati sous le lit, à moitié nu, tremblant, les yeux écarquillés, son casque militaire sur la tête. Il hurle : « Cache-toi, vite ! Tous à l’abri ! » Elle le secoue, le gifle. Il se remet, explique : « Sarajevo, Rwanda... Tout s’est mélangé. J’ai cru à un bombardement au mortier. » Il pleure : « Pardonne-moi ! » Elle travaille dans un hôpital et comprend : « Philippe, depuis ton retour, ça ne va plus. Tu dois voir un médecin. » Cette douleur est une maladie, parfois incurable, et elle porte un nom, « névrose traumatique de guerre », un peu technique pour parler de l’effroi des hommes. C’est une blessure profonde, aussi grave qu’un membre amputé, un ventre déchiré, un visage emporté. Plus, peut-être, parce qu’elle mutile l’en dedans d’un homme, ses sentiments, sa mémoire, sa perception du monde. Il en souffre, à chaque minute de sa vie, jour et nuit. Surtout la nuit. « Mon cerveau est tordu comme un fil de fer serré..., écrit le poète Siegfried Sassoon revenu des tranchées. Et quand les lumières s’éteignent, les horreurs reviennent en rampant : le sol est parsemé de paquets de chair morte et d’os... » Première Guerre mondiale, 1939-1945, Indochine, Algérie, les grandes guerres sont loin, les poilus sont morts et les enfants du jour J ont des cheveux blancs. Pourtant, chaque année, la quarantaine de psychiatres et psychologues militaires français voient débarquer dans leur cabinet une foule de soldats, jeunes recrues ou vieux routiers, muets ou délirants, paralysés par une panique intérieure, avec la même plainte : « J’étouffe ! » Aujourd’hui, on ne parle plus de guerre, mais d’intervention extérieure ou d’opération de maintien de la paix. Reste qu’on se bat, qu’on tue et qu’on meurt. En un quart de siècle, l’armée française a connu le Liban en 1983 - 58 paras tués dans l’attentat contre le « Drakkar » -, le Tchad, ses combats et ses morts ignorés, la guerre du Golfe et la hantise des gaz, la Bosnie, martyre de Sarajevo et tragédie des casques bleus, le Rwanda du génocide, des machettes et des réfugiés, le Kosovo de la haine, des frères ennemis de Mitrovica, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, les émeutes d’Abidjan et le bombardement assassin de Bouaké, le Sud-Liban de la Finul, entre Hezbollah et Israël, et l’Afghanistan secret des Forces spéciales. Chaque soldat part pour quatre mois, de 10 000 à 15 000 hommes vivent en permanence sur le terrain. En clair, cela donne 45 000 militaires envoyés à l’étranger chaque année. En une dizaine d’années à peine, près de 200 000 Français ont été engagés dans les théâtres d’opérations. Quelques-uns sont blessés ou tués, la plupart reviennent sains et saufs, mais les autres, sans blessure apparente, souffrent d’un mal invisible. Et chacun a son histoire. Celle de Philippe commence le 2 juillet 1994 sur une base aérienne, à Istres, au 45e génie de l’air. Il a 27 ans, un Lorrain né à Metz, un homme calme, musclé, solide, qui se prépare à prendre des vacances avec sa femme et son gamin de 13 mois. Permission annulée : il doit partir sous 48 heures pour Goma, au Zaïre, près de la frontière du Rwanda. Mission : remettre en état la piste de l’aéroport de brousse que les Antonov 124, avions gros-porteurs du pont aérien humanitaire, arrachent à chaque atterrissage. 47 hommes embarquent avec leurs engins, du ciment à prise rapide et d’énormes sacs de cailloux ronds aux dimensions réglementaires. Ils partent pour un chantier, pas pour l’enfer. Au matin de leur arrivée, un capitaine les réunit, il est blême : « Je vous préviens, vous n’avez jamais vu cela. » A peine débarqués, Philippe et les autres se retrouvent dans une bananeraie à 10 kilomètres de la piste. Ceux qu’ils viennent relever ouvrent de profondes tranchées à coups de pelles mécaniques. A côté, des montagnes de cadavres attendent d’être enfouis. Philippe regarde ces tas d’hommes, de femmes, d’enfants, aux corps gris et gonflés par le choléra. En plein soleil, l’odeur insupportable l’asphyxie. « Tout le monde a vomi. On se demandait ce qui arrivait, où on était. Cette... « chose », c’était la fin du monde ! » L’instant d’après, il est en tenue, des gants blancs en plastique scotchés sur les poignets, un masque à poussière sur le nez. Un ancien lui tend un coton imbibé d’after-shave, et il prend les commandes de son tracto-chargeur. Des camions de 10 tonnes se succèdent, déchargent à même la pelle et repartent. Le godet de l’engin racle le sol, soulève, pousse et vide son contenu. Les engins ouvrent des tranchées de 4 x 4 mètres. 1,50 mètre de profondeur, une couche d’hommes, une couche de chaux, une couche de terre, la bananeraie devient cimetière, fosse commune, charnier. A la tombée de la nuit, ils sont ramenés au camp près de la piste : « Sur 10 kilomètres de route, les talus étaient couverts de gens couchés. Ils avaient l’air de dormir... » Au lendemain du 14 juillet, on les a vus arriver : un million de réfugiés, épuisés, malades, blessés, agonisants, somnambules au regard vide qui longent en silence le grillage du camp. Depuis, le flux est continu. Ils se couchent dans l’obscurité et repartent au matin, en laissant les talus jonchés de morts. La nuit, Philippe et les autres réparent la piste ; le matin, ils sont à la bananeraie. Goma empeste, le choléra gagne, il faut enfouir. De 7 heures du matin à 7 heures du soir, une pause en début d’après-midi, pendant vingt et un jours d’affilée ! Il perd 27 kilos, travaille comme un robot, respire son coton d’alcool, vomit chaque jour, et actionne sa pelle en détournant le regard quand les locaux doivent manipuler les cadavres à la main. Le soir, allongé sur son lit de camp, les yeux rivés sur son carré de toile, il ne parle plus, hanté par « ces êtres humains qu’on enterrait en masse, pêle-mêle, sans sépulture décente, sans prière, comme des chiens... un sacrilège ». Un matin, le premier camion arrive de l’orphelinat. Pour la première fois, Philippe craque : « Tous ces gosses ! Entre 3 et 6 ans, des petits corps... Je n’ai pas pu. Je suis descendu du tracto. » Il s’éloigne : « Cette mort alentour est en train de gagner, elle va forcément nous rattraper. » Il arme son pistolet automatique, le dirige vers sa tempe : « Soudain, j’ai vu le visage de mon gosse. Et j’ai remis le cran de sûreté. » Dans l’équipe, certains sont devenus silencieux, le regard éthéré. D’autres, rares, sont rapatriés, mais la plupart résistent, comme Philippe, soudés, unis entre eux par un fil magique. Et puis il y a l’adjudant-chef Fravalo - « un monsieur », dit Philippe -, qui leur répète avec humanité que ce qu’ils font est bien, parce qu’ils sauvent des vies. L’adjudant aussi encaisse sans se plaindre, jusqu’au jour où il voit « un enfant voler », un gamin léger projeté par un manutentionnaire dans la fosse. « En tombant, sa tête s’est retournée vers moi. Et le temps s’est arrêté... » Douze ans après, dans sa maison de Toul, l’adjudant-chef Fravalo a encore du mal à en parler : « J’ai vu ses yeux grands ouverts, deux grosses billes noires. Il me fixait. La mort me regardait. » Philippe a dû la prendre à bras-le-corps quand il a vu une femme descendre dans la fosse avec son enfant mort. Il saute de son engin, descend dans la tranchée : « On avait versé de la chaux vive, les corps en lambeaux bouillonnaient, il faisait plus de 40 degrés. J’ai marché sur ces pauvres gens, leurs corps craquaient sous mes pieds, je leur faisais mal ! » Il lui faut se battre avec la femme : « La maman s’agrippait à son gamin, hurlait qu’elle voulait rester là. J’ai dû la forcer à s’en séparer, pour la ramener en haut de la tranchée. Ce jour-là, au fond, l’odeur m’a pénétré pour toujours. » Heureusement, il y a eu Angelo, un miracle, sous la forme d’un corps inerte, un de plus, jeté sur un monticule de cadavres. Quand Philippe arrive à l’aube, les locaux piquent les corps à la baïonnette pour s’assurer de leur mort. Soudain, Philippe croise le regard d’un gamin : « Il était maigre, corps émacié, grosse tête, des yeux ronds, 6-8 ans... J’ai crié : « Stop ! » On l’a sorti de là. » Une semaine plus tard, soigné et nourri, le gamin est sauvé. Depuis, tous les soirs, Philippe a du mal à refermer les fosses dans la hantise d’enterrer des vivants : « Je restais là, à écouter, à l’affût d’un mouvement, d’un souffle, d’un soupir de vie. Parfois, j’avais l’impression que les morts me parlaient. » Vingt et un jours de travail, 2 000 mètres cubes déplacés, un chantier avec plan et sens giratoire pour camions, 1,5 kilomètre de tranchées, plus de 25 000 corps enterrés... Et puis, un jour, un ordre sec sur le chantier : « Guillaumot, au camp, fais ton sac, tu pars dans trois heures. » Philippe se retrouve assis dans l’avion, à la fois « surpris, soulagé et sidéré ». Soudain, il ne veut plus partir, avec le sentiment étrange d’abandonner les copains, de quitter un travail inachevé, d’être coupable. Le 7 août, à son arrivée à Istres, le ciel est bleu et la base est en vacances. Il rentre chez lui, embrasse sa femme et son gosse et s’enferme dans sa chambre, les yeux au plafond. « Parler ? Impossible ! Comment expliquer ce que j’ai vécu là-bas ? Comment voulez-vous parler de « ça » ? » Il essaie de revivre normalement, se couche chaque soir à 21 heures, mais l’odeur le réveille toujours, en sueur, pris de nausée, accroché à son tracto. Il ne quitte plus son enfant, le prend dans ses bras et pleure pendant des heures : « Je n’étais plus sur la même planète. L’armée autrefois était ma vie. Toutes nos valeurs, respect, humanité, dignité... Cela n’avait plus aucun sens. Il ne restait rien. Sinon la mort, l’odeur... Le néant. » Il lui faudra un an pour évoquer son « expérience très dure », trois ans et une nouvelle maison pour montrer les photos à sa femme, et dix ans pour lui donner le deuxième enfant qu’elle désire. « Pas plus que le soleil, la mort ne peut se regarder en face », dit François Lebigot, psychiatre aux Invalides. Quand elle apparaît, la rencontre est souvent violente, brève, inattendue. Il suffit de quelques dixièmes de seconde. C’est elle, la mort, dans les yeux de celui qui va vous tuer. Elle encore dans cet ami qui tombe à côté de vous. Elle toujours dans le regard d’un inconnu qui se voile. Le temps s’arrête, le cerveau est pétrifié, l’image, entrée par effraction, colle à l’esprit « comme une arapède sur un rocher », dit le psy. Dans ce moment d’« effroi », plus de peur, plus de pensée, plus d’émotion, plus de parole... C’est la rencontre avec l’inconnu, le non-sens absolu, le néant. « Toutes les horreurs blessent, la dernière tue », rappelle Alain Payen, spécialiste des traumatismes. « Vulnerant omnes, ultima necat »...A chaque heure qui passe, l’homme qui a contemplé la mort sait que le temps désormais n’a plus d’importance, qu’il vit à chaque instant ce moment « ultime », dit le psychiatre. « J’ai vu la mort, je me suis vu mort, je suis mort », traduit aussitôt le soldat victime d’un tel traumatisme. Dix ans après la guerre du Golfe, un conducteur de char consulte. Il est irritable, violent avec ses gosses et ne supporte plus la moindre contrariété. En franchissant un fossé dans le désert, il a dû mettre son canon à la verticale. De l’autre côté, il a vu le tube d’un T55 irakien pointé droit sur lui. Mort ! Même si un autre char français a pulvérisé la menace. « Tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort », a dit quelqu’un... Quelle erreur ! On ne sort jamais indemne de ce baiser infernal. Certains se suicident ou le portent en eux toute leur vie. Chaque nuit, encore et encore, le même cauchemar à répétition les réveille, inondés de sueur, les yeux fous, bloqués sur la même image « là-bas ». « Le soldat a le cerveau d’un accidenté de la route qui vient de quitter l’asphalte et qui, de tonneau en tonneau, revoit les images en boucle », écrit Hélie de Saint Marc, qui parle de ses cauchemars comme « des sentinelles de la nuit ». Les somnifères n’ont que peu d’effet sur les fantômes, alors les possédés refusent de dormir, retardent le coucher en buvant des litres de café, crèvent d’angoisse dans la journée en redoutant cette horreur à venir. Rapatrié de Sarajevo, un caporal-chef, soldat d’expérience, a sombré dans l’alcool. Au retour d’une patrouille, en 1993, il est entré dans une classe d’école et a découvert tous les gosses égorgés sur leur pupitre. Dehors, il a rendu compte et a repris sa mission. Dix ans plus tard, libéré par l’armée, abandonné par sa femme, il erre dans les rues, obsédé par le retour de la nuit, du cauchemar où il se retrouvera au seuil de cette classe. Trois ans de traitement psy n’ont rien changé. L’homme est brisé, incapable de s’arracher au fantasme d’Isaac, de « l’enfant sacré et sacrifié ». Dans ces cas-là, les conséquences du trauma peuvent apparaître des années plus tard, après une période de latence. Comme ce soldat hospitalisé pour un horrible eczéma lui couvrant le corps et qui finit par comprendre qu’après s’être « vu mort » son corps exprime son sentiment de putréfaction. Ou ces deux parachutistes français venus évacuer des Européens et qui marchent dans les rues de Kigali juste après le massacre des Tutsis. Ils passent devant un horrible cadavre, la tête coupée en deux à la verticale, tachée de cervelle et de sang. « C’est curieux que tout cela ne nous fasse rien », dit l’un d’eux. Et ils s’en vont. Cinq ans plus tard, il est amené en consultation, le corps entièrement scarifié à coups de lame de rasoir. « Une plaie vivante. On l’a recousu et gardé », dit le docteur François Lebigot. Quinze jours plus tard, il recommence avec la même violence, comme s’il se mettait à la place d’un Rwandais massacré. Et un matin il arrive en hurlant à l’entretien : « Docteur ! Ça a explosé cette nuit dans ma tête ! J’ai compris... » Ce n’est pas l’image horrible de la tête tranchée qui le torture, mais le regard de la victime, « le regard terrible de celui qui avait vu son tueur, le diable en personne ! »... Après trois ans de traitement et une formation dans le Midi, l’homme est devenu forestier dans les Alpes : « Et il est venu jusqu’ici me présenter sa femme. » Guéri ! On peut en souffrir toute sa vie, en mourir ou s’en sortir, mais on n’échappe pas à cette blessure invisible. En 1939, les Britanniques comptaient encore 200 000 soldats pensionnés pour troubles psychiques datant de la Première Guerre mondiale. Entre juin 1944 et mai 1945, les Alliés traitent 15 000 soldats au sortir du front. En Algérie, les « événements » font 9 000 blessés psychiques. Au Vietnam, on estime à un tiers des effectifs les hommes affectés par leur séjour ; 9 000 se suicident à leur retour, et la moitié des SDF aux États-Unis sont des vétérans du Vietnam. Combien en France en un quart de siècle d’opérations ? Le temps n’est plus où l’on abattait d’une balle dans la tempe « le faible, le lâche, le traître », poilu saisi par l’effroi. Les psychiatres français n’utilisent plus l’hypnose ou le courant faradique pour redresser le corps des fous, mais il a fallu attendre 1992 pour que des hommes brisés aient droit à une pension d’invalidité de l’armée française. A Goma, le psychiatre militaire est envoyé « à l’avant », sur le terrain. Dès son arrivée, il réunit les hommes chargés des fosses communes. « Fous, nous ? Il allait voir ça, se rappelle Philippe. On est arrivé une casserole sur la tête, en tenant une brosse à dents en laisse... « Rex ! Tu viens ! » » Mais le soir même certains vont frapper à sa tente, le dialogue commence. A son retour en France, après l’épisode des feux d’artifice du 15 août, Philippe est revenu consulter, parler de l’indicible, des montagnes de corps, de la mère qui voulait mourir avec son enfant, d’Angelo, des soupirs qu’il guettait au bord des fosses, de son angoisse, de sa culpabilité, et surtout de cette odeur qui ne le quitte pas. « Sans les psys, je me serais mis une balle dans la tête », dit Philippe. Il a fouillé ce jardin secret, tabou, « cette chose qui nous liait dont on n’arrivait pas à parler, même entre frères d’armes. C’était à nous, entre nous. En parler, c’était porter atteinte à tous ces pauvres gens enterrés là-bas ». Avec le temps, il a mis des mots sur l’horreur, réussi à moins pleurer, à ne pas divorcer. A l’heure de la retraite, il a quitté l’armée et rêve d’aller vivre aux Marquises. Ne reste que l’odeur du cauchemar. Une odeur dont il n’arrive pas à se débarrasser. Peut-être parce qu’il ne le veut pas. Il en parle comme d’un message de confiance des morts, de ceux de la bananeraie, qui lui diraient merci pour avoir essayé de les respecter : « C’est ma fêlure, ma conscience, l’assurance de ne pas être un robot humain sans émotions. » Il ferme les yeux et semble respirer quelque chose au loin : « Cette odeurterrible est mon fil conducteur. S’il se brise, il ne me restera plus rien. Le néant. » | |
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